L’amour du prochain, au service de la démocratie

Les Anglais reprochent aux Français d’utiliser le même verbe pour dire aimer sa femme (to love) et aimer les frites (to like). Qu’en pense la Bible ?

Le commandement qui dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, se trouve dans le Premier et le Nouveau Testament, dans des contextes différents.

Dans le Premier Testament, nous le trouvons dans le livre du Lévitique suite à une série de prescriptions très pratiques : « Tu n’opprimeras pas ton prochain… Tu ne retiendras pas chez toi la paye d’un salarié… Tu ne maudiras pas un sourd et tu ne mettras devant un aveugle rien qui puisse le faire trébucher… Tu ne te vengeras pas et ne garderas pas rancune, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même[1]. » L’amour s’inscrit dans le registre du respect profond pour le prochain (to like).

Dans le quatrième évangile, l’amour du prochain trouve une définition plus radicale : « Personne n’a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis[2]. » Aimer est plus que respecter, c’est œuvrer pour son prochain, donner de soi – de sa vie – pour lui permettre de grandir dans toutes les dimensions de sa personne (to love).

Les deux conceptions sont différentes et complémentaires. Je ne peux aimer tout le monde au sens du Nouveau Testament, car l’amour est un travail, et mes capacités de travail sont limitées. En revanche, je dois aimer tout le monde au sens du Premier Testament en ce que je dois respecter tous mes prochains.

L’amour du prochain (to like) est un des fondements de la démocratie qui suppose que chaque citoyen respecte la dignité des autres. Dans son Traité des vertus, le philosophe Vladimir Jankélévitch disait que la démocratie, ce n’est pas le consensus, mais l’art de gérer les désaccords de manière civilisée.

Un phénomène inquiétant qui fleurit ces derniers temps est la multiplication des expressions de haine qui sont alimentées par les réseaux sociaux qui sont bien commodes en ce qu’on peut tout dire de manière anonyme : la haine contre ses adversaires politiques, contre ceux qui ont une analyse différente de la situation, contre les gouvernants, contre les riches, contre les étrangers, contre les policiers, contre les syndicats… Comme la haine est contagieuse, la liste des personnes à haïr est infinie.

Dans la Bible, l’amour du prochain (to like) est un commandement pour le bien de la société. C’est aussi un bienfait pour l’humain, car la haine est ce que Spinoza appelait une passion triste, une passion qui détruit celui qui se laisse gagner par ses effluves mortifères.

Lutter contre la haine, c’est bon pour la démocratie et c’est bon pour la santé !

 

[1] Lv 19.11-18.

[2] Jn 15.13.