Après le livre de Vanessa Springora, tout le monde est d’accord pour trouver l’attitude de Gabriel Matzneff indigne. Il est effectivement criminel de supposer qu’une relation entre un adulte de cinquante ans et une jeune fille de quatorze puisse être autre chose qu’un rapport de domination.
Aujourd’hui un appel à témoins est lancé contre Gabriel Matzneff, ses livres les plus explicites ont été retirés de la vente et le monde bien pensant sonne l’hallali contre l’écrivain.
Cette affaire souligne la complaisance d’une époque vis-à-vis de la pédophilie. Je l’avais oublié, mais j’ai découvert qu’à la fin des années 70, Le Monde et Libération publiaient des tribunes et des pétitions signées par des intellectuels et des hommes politiques pour défendre les amours pédophiles. J’ai fait partie à cette époque des organisateurs qui avaient invité Gabriel Matzneff comme grand témoin lors d’un rassemblement des responsables du scoutisme unioniste.
Ce qui était considéré comme une marque d’avant-gardisme il y a quarante ans est regardé comme une aberration de nos jours. Si chaque époque à ses points aveugles, gardons-nous de penser que la nôtre n’en a pas. La question que nous pouvons nous poser est de savoir quels sont les idées et les comportements qui sont tolérés, voir revendiqués à notre époque et qui apparaîtront comme une horreur dans quelques décennies.
La PMA à l’heure de la surpopulation, les lignes ariennes à bas coût, les paquebots de croisière, les extrémismes religieux, l’alimentation sucrée, manger de la viande, la pornographie sur les réseaux sociaux, la légalisation du cannabis ? Je suis incapable de dire ce que nos petits-enfants penseront de ce qui nous paraît tolérable. Le propre des angles morts est qu’on ne les voit pas, mais que ça ne nous empêche pas de rester lucides.
Dans la Bible, ceux qui nous apprennent à comprendre le monde sont les prophètes, le problème est qu’ils sont rarement écoutés, car ils mettent le doigt là où ça fait mal.