Anne Soupa a posé sa candidature pour succéder au cardinal Barbarin comme archevêque de Lyon. Quand j’ai lu l’information, j’ai cru à un canular. Quand elle a été confirmée, j’ai d’abord souri, puis je me suis dit qu’elle avait du culot, et que c’est une bonne chose.
Elle n’en est pas à son premier coup d’éclat puisqu’elle a été à l’origine et qu’elle est la présidente du « comité de la jupe » dans l’Église. Le comité a été créé en réaction à une phrase maladroite du cardinal Vingt-Trois qui avait déclaré sur Radio Notre-Dame : « Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête. »
Être formée et avoir une tête bien faite, ce sont des qualités de la postulante. Parmi la douzaine de livres qu’elle a écrits, je retiendrai « Le jour où Luther a dit non » qui est à mes yeux un des meilleurs livres sur le protestantisme sorti dans l’année 2017 qui célébrait les cinq cents ans de la réforme. Elle y révèle une compréhension très fine de la théologie de la grâce qui est au fondement de la réforme.
Tout le monde s’accorde pour dire que la démarche n’a aucune chance d’aboutir, car d’une part on ne pose pas sa candidature pour être évêque – on est appelé – ensuite tous les évêques sont des prêtres. Dans le monde catholique de nombreuses voix s’élèvent contre cette candidature, avec parfois une certaine condescendance, en disant que ce n’est pas comme ça qu’on fait dans l’Église et qu’il faut respecter les procédures pour faire évoluer les mentalités.
Cette démarche appelle de ma part quatre remarques.
Parfois il faut être un peu provocant pour faire bouger les lignes. Si son attitude est déplacée, elle l’est moins que celle d’Ésaïe qui a marché nu dans les rues de Jérusalem (Es 20.3), elle l’est moins qu’Osée qui a épousé une prostituée (Os 1.2), elle l’est moins qu’Ézéchiel qui a fait cuire son pain sur des excréments humains (Ez 4.12). Comme Anne Soupa aujourd’hui, je suis sûr que les prophètes de la Bible ont aussi été traités avec condescendance, à eux aussi on a sûrement dit que ce n’est pas comme ça qu’on fait avancer les choses. Aujourd’hui, leur attitude est proposée pour nourrir la foi de l’Église.
Cette candidature a été posée pour prendre la tête d’un diocèse qui a été profondément blessé ces dernières années par les affaires de pédophilie du père Preynat qui ont conduit à la démission du cardinal Barbarin. La question des scandales sexuels est un énorme cadavre dans les placards de l’Église catholique qui n’a pas fini de faire des vagues. L’Église ne s’en sortira pas sans un aggiornamento de son discours sur la sexualité, de la place des femmes dans l’Église et des modes de gouvernance. Dans ces trois registres, la candidature d’Anne Soupa a l’avantage de poser de bonnes questions.
L’Église catholique est attachée à la tradition, et un des grands et beaux principes de la tradition est le sensus fidei, parfois appelé « flair des fidèles ». C’est l’idée selon laquelle le peuple de l’Église dans son ensemble ne peut pas se tromper, car c’est à l’Église tout entière que la foi a été confiée. Cela signifie que si un article de foi n’est pas partagé par le peuple de l’Église, il doit être interrogé. Aujourd’hui, le peuple de l’Église appelle à une plus grande participation des femmes, ce sont les clercs qui ont la particularité d’être des hommes célibataires qui freinent. L’Église ne sera fidèle à sa propre tradition que si elle écoute le peuple. Et si on interrogeait les fidèles du diocèse de Lyon sur cette candidature ?
Si je peux faire une comparaison avec les Églises protestantes, le débat sur la place des femmes a eu lieu dans les années cinquante et soixante du vingtième siècle avec la question des femmes pasteures. Si j’avais été pasteur à cette époque, je ne sais pas quelle aurait été ma position. Il y a des théologiens que je respecte qui ont été réservés vis-à-vis de cette ouverture. Ce que je peux dire, c’est que cinquante ans plus tard, la question ne se pose plus tant le pastorat féminin apparaît comme une évidence. Je suis sûr que dans quelques décennies, la place des femmes dans l’Église catholique aura changé, ce jour-là peut-être que des historiens diront que la candidature iconoclaste d’Anne Soupa a aidé à faire bouger les lignes.