Du bon usage de la peur

Dans la Bible la peur est ambivalente. D’un côté, le livre des Psaumes dit que la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse[1], d’un autre côté, dans les évangiles, la parole la plus souvent répétée par Jésus est : « N’ayez pas peur ! »

Un texte articule ces deux compréhensions, c’est celui de la tempête apaisée. Les disciples sont dans la tempête pendant que Jésus dort dans le bateau. Ils le réveillent et Jésus calme les vagues et le vent. Le texte se conclut par les versets suivants : « Jésus leur dit : “Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ?“ Ils furent saisis d’une grande crainte, et ils se disaient entre eux : “Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéissent[2] ?“ » Dans ce récit, les disciples sont passés de la mauvaise peur de la tempête qui est le contraire de la foi, à la bonne crainte de Dieu qui est le fruit de la foi.

Il y a donc une mauvaise et une bonne peur. Une peur qui paralyse et une peur qui réveille.

La peur qui paralyse est celle qui nous recroqueville sur notre personne. C’est la peur dont parle Jésus dans le sermon sur la montagne quand il dit à ses disciples : « Ne vous inquiétez donc pas en disant : Que mangerons-nous? Que boirons-nous? Ou : De quoi serons-nous vêtus? Car cela, ce sont les païens qui le recherchent… Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice.[3] » Face à cette peur, l’Évangile ne place pas la sécurité, mais la quête du Royaume de Dieu. Le contraire de cette peur est le courage, et le vrai courage consiste à regarder en face notre fragilité, à l’assumer et à l’aimer. C’est le courage de la confiance qui nous appelle à garder les mains ouvertes face à toutes les menaces et les maladies de notre monde.

La peur qui réveille n’est pas la peur des autres, mais la peur pour les autres, pour notre monde et nos enfants. Le philosophe Hans Jonas a parlé d’une heuristique de la peur, l’expression signifie ce qu’elle nous permet de découvrir. C’est la prise de conscience des menaces qui pèsent sur notre monde qui doit nous faire changer de comportement. Le philosophe pense que, quand bien même elle ne serait pas le plus noble des mobiles, seule la peur peut nous conduire à modifier notre mode de vie.

Ces deux compréhensions de la peur sont entrelacées dans ce qui nous arrive. Il nous appartient de ne pas nous laisser paralyser par la menace de l’épidémie, mais de combattre le mal. Et en même temps, il nous appartient aussi d’écouter ce qu’elle dit de notre monde et de considérer sérieusement les changements auxquels elle nous appelle dans notre vie commune.

[1] Ps 111.10, Pr 1.7.

[2] Mc 4.40-41.

[3] Mt 7.31-33.