Dans l’épreuve, l’humour comme moyen de résistance

J’ai regardé une émission de télévision dans laquelle de brillants intellectuels étaient tous d’accord pour dire que les religions n’aimaient pas le rire. Ils reprenaient un lieu commun des questions théologiques du Moyen-Âge disant que si le rire est le propre de l’homme comme interpréter le fait que les évangiles ne disent jamais que Jésus a ri ? On sait qu’il a pleuré, on ne sait pas s’il a ri.

Trois réponses.

Abraham, le père des croyants a appelé son fils « il rit », ce qui est le sens du nom Isaac. Il a trouvé que de se retrouver père à l’âge de cent ans relevait plutôt du canular. Dans la même veine, le Psaume 2 dit que Dieu rit de voir l’agitation des humains.

Dans les évangiles, certes il n’est pas dit que Jésus a ri, mais quand je l’imagine raconter la parabole de la paille et la poutre, je ne peux m’empêcher de le voir avec un sourire au bord des lèvres. Une poutre dans son œil ! La bonne blague ! Et que dire de l’histoire du chameau qui essaye de passer par le trou d’une aiguille ou du modèle de passoire qui retient les moucherons et laisse passer les chameaux ? N’oublions pas que son premier miracle fut de transformer de l’eau en vin, ce qui est un joli pied de nez à tous les pisse-froid de toutes les époques.

Et dans les épitres de Paul, la joie est un commandement. Pas une concession, un commandement.

Je crois que Jésus a ri parce que le rire a toujours été un moyen de résistance et Jésus a été un résistant. Le rire est l’arme du faible contre le fort.

L’hébreu a deux mots pour dire le rire. Le premier, c’est le rire contre, le rire qui se moque du prochain, de la raillerie, de la dérision, de l’humiliation. Le rire des passants qui se moquent de Jésus en Croix. C’est le rire de certains humoristes à la mode.

Un second mot (sakhaq qui a donné Isaac) correspond à l’humour qui apporte la joie. Ce rire-là doit être partagé, car il y a une diaconie de l’humour. Il n’est pas seulement une gaieté, mais une marque d’une distance faite de légèreté et de tendresse pour ce qui advient. L’humour change notre regard, il allège notre fardeau. L’humour et l’amour sont très proches.

Aristote rangeait l’humour parmi les vertus. Il appelait cette disposition à prendre les réalités avec quelques distances eu-trapelia, soit une capacité à savoir bien tourner les événements qui arrivent. En cela, l’humour est plus qu’une vertu, il est le rayonnement de toutes les vertus.

Si on avait besoin d’une dernière preuve de la puissance de l’humour, un témoignage. Dans un de ses livres, Germaine Tillion raconte que, quand elle a été arrêtée par la Gestapo, sur dénonciation pour ses activités dans la résistance, elle a pensé à un conte peul qui suggère que Dieu peut être bon aussi bien pour l’homme qui veut traverser la rivière à la nage que pour le crocodile qui veut le manger. Dans la situation dramatique qui était la sienne : « Je me suis dit tristement, mais sans panique : « Aujourd’hui, Dieu a été bon pour le crocodile“. » Quelques mois plus tard, quand on lui a annoncé qu’elle serait fusillée le lendemain, l’histoire du crocodile lui a permis de conserver un calme qui a étonné le commissaire chargé de lui communiquer la sanction.