Dans les romans de la rentrée littéraire, celui qui est en tête des ventes est Soif d’Amélie Nothomb. C’est un livre qui raconte les dernières heures de la vie de Jésus.
Ce classement ne m’étonne pas, non parce que le livre serait renversant, mais parce qu’Amélie Nothomb est une auteure à succès qui a ajouté à son public habituel les lecteurs piqués par la curiosité de ce qu’elle dit sur Jésus.
J’ai eu l’occasion de l’interviewer cet été pour la double page que j’ai écrite dans Réforme. Elle m’a raconté que le personnage de Jésus la fascinait depuis sa toute petite enfance. Elle n’a pas voulu faire un coup éditorial, mais explorer une mort qui reste pour elle une énigme : « Je ne connais qu’une méthode pour comprendre quelque chose qui me dépasse, c’est d’écrire un roman à son sujet. »
Autant je me méfie des essayistes qui prétendent dévoiler sur Jésus des vérités qu’on a voulu nous cacher, autant j’apprécie les romanciers, même lorsqu’ils se permettent des libertés avec ce qu’on sait du Jésus historique, car leur lecture ne triche pas avec ce qu’elle est : une interprétation. Un roman sur Jésus est comme un midrash, c’est une histoire qui propose une interprétation sur un événement.
Pour prendre un exemple, Amélie Nothomb pose l’hypothèse d’une relation intime entre Jésus et Marie-Madeleine. Sur la sexualité de Jésus, le Nouveau Testament ne dit rien, ce qui laisse entendre que cette question n’est pas importante pour nous transmettre le message de l’Évangile. Amélie Nothomb a fait le choix de l’évoquer pour souligner l’incarnation de Jésus qui n’est pas un pur esprit : il a totalement vécu notre humanité. Pourquoi pas ?
La plus belle trouvaille du livre est son titre qui évoque la foi comme soif. Je n’avais jamais remarqué que le mot soif est un anagramme de fois au pluriel. Jésus a crié sa soif sur la croix. Le but de la foi n’est pas d’étancher notre soif, mais de la garder vivante : avoir soif de sens – soif de relations vraies – soif de paroles – soif de justice.
Bonhoeffer a dit qu’une juste prédication évangélique devrait ressembler à un verre d’eau fraîche que l’on offre à un assoiffé en lui disant : « Veux-tu ? ». Et le Psaume dit : « O Dieu, tu es mon Dieu ; je te cherche, j’ai soif de toi, je soupire après toi, dans une terre desséchée et épuisée, faute d’eau. » (Ps 63.2)
Ce titre me fait penser à l’apologue suivant.
Un jeune homme veut connaître Dieu. On lui conseille de s’adresser à un ermite qui vit seul dans la forêt. Le jeune homme va à la rencontre du sage, et lui fait part de son désir. Le vieillard lui propose de l’accompagner. Ils marchent en silence jusqu’au bord d’un lac. Le vieillard s’agenouille sur la berge, et le jeune homme en fait autant. Le vieillard se penche pour se regarder dans l’eau, et le jeune homme en fait autant. Soudainement, avec une force surprenante, l’ermite prend la tête du jeune homme et la plonge dans l’eau. Il attend. Le jeune homme se débat, mais l’ermite ne bouge pas. Des bulles commencent à remonter à la surface, mais l’ermite attend encore. Au bout d’un long moment, il retire la tête de l’eau. Alors que le jeune homme hoquette en essayant de retrouver son souffle, le vieillard dit : « Le jour où tu chercheras Dieu avec autant de force et de désir que l’air qui te manquait lorsque tu étais sous l’eau… tu le trouveras. »