La plus grande tâche de la théologie est de trouver un sens à la grande énigme des évangiles : comment comprendre que celui qui se présente comme le béni de Dieu soit mis à mort de la pire mort qui soit ?
Avant de chercher une explication, il faut commencer par écouter. Pour ce faire, je propose de rapporter le témoignage de trois hommes : un écrivain inspiré, un intellectuel agnostique et un théologien protestant.
L’écrivain est François Cheng. Il raconte que lorsqu’il avait 8 ans, le Japon a déclenché une guerre contre son pays, la Chine. Il a découvert les horreurs de la guerre, les exécutions en masse, les concours de décapitation, les jeunes filles violées, les femmes enceintes éventrées… Il a pensé qu’aucune vérité en ce monde n’avait de sens si elle ne pouvait se tenir face à cette réalité. Il a erré jusqu’au jour où il a rencontré le Christ qui, à la croix, a affronté le mal radical tout en montrant que l’amour restait le bien absolu.
L’intellectuel est Umberto Eco qui a écrit : « Si je considère que Dieu n’existe pas, je dois me demander comment une partie de l’humanité a eu assez d’imagination pour inventer un dieu fait homme et acceptant de se laisser mourir pour l’amour de l’humanité… Cette humanité a fait des choses effrayantes, c’est certain, mais elle a su inventer ça ! Auparavant, elle inventait des dieux qui dévoraient leurs fils, des dieux adultères, des divinités mauvaises, boulimiques, qui mangeaient les êtres humains. Et puis elle a conçu l’idée du sacrifice de l’amour. Pas mal ! Dans ce sens l’invention du christianisme est une belle justification de l’existence de notre espèce, de son droit à l’existence. »
Le théologien est Jürgen Moltmann. Il raconte qu’il a été élevé en dehors de toute préoccupation religieuse et qu’il lisait avec bonheur Goethe et Nietzsche. En juillet1943, il vivait à Hambourg lorsque 1000 bombardiers de la Royal air force ont largué sur sa ville des bombes incendiaires qui ont fait 40.000 morts en une semaine. Il s’est alors entendu crier : « Dieu, où es-tu ? » À la fin de la guerre, il a passé trois ans dans un camp de prisonniers à essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Un aumônier lui a offert une Bible, et il a été bouleversé par les psaumes de lamentation et le cri de Jésus en croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné. » À partir de ce cri, il a pris la décision d’entreprendre des études de théologie.
La croix est la parole de l’Évangile face à l’énigme du mal. Au lieu de supprimer ses ennemis, le fils de Dieu s’est laissé crucifier.
Cette logique paradoxale a accompagné les premiers chrétiens. À travers les luttes, les dangers et les souffrances, ils ont vécu dans l’assurance que Dieu partageait leur chemin. La croix était un scandale, elle est devenue une expérience de salut ; elle était un signe d’abandon, elle est devenue le signe d’une présence dans l’épreuve ; elle était un signe de malédiction, elle est devenue la marque de leur foi.
Comme je suis théologien, j’essaye de comprendre, mais avant de comprendre il me faut écouter.