Dans la crise des retraites, je ne suis à l’aise ni avec la position du gouvernement ni avec celle des syndicats.
Je ne me retrouve pas dans l’idée selon laquelle un euro cotisé devrait donner les mêmes droits à tous, car cela ne fait que reproduire au niveau des retraites les différences de revenus des actifs. Si cette différence peut se justifier pour son efficacité économique – ce qu’il faudrait vérifier – il n’en est pas de même au niveau des retraites. Au nom du principe qui donne la priorité à la dignité du plus grand nombre (voir mon article du 20 septembre 2019), je serais pour une sorte de péréquation afin qu’un euro cotisé par un bas salaire donne plus de droits qu’un euro cotisé par un haut salaire. D’autant que les hauts salaires ont souvent des revenus annexes du fait de leur épargne.
Je ne me retrouve pas plus dans la position des grévistes dont la priorité est le maintien des privilèges des régimes spéciaux. Ceux qui font la grève disent qu’ils la font pour tous, mais comme par hasard, ce sont ceux qui ont les régimes les plus favorisés. En plus, les personnes qui souffrent le plus de cette grève sont celles qui habitent en banlieue et qui sont tributaires des transports en commun, souvent les plus petits.
Au point où nous en sommes, la sortie de crise passera par un compromis. L’écrivain israélien Amos Oz écrivait qu’un compromis heureux est un oxymore, c’est-à-dire une contradiction dans les termes. S’il n’y a pas de compromis heureux, il y a des compromis nécessaires, car le contraire du compromis, ce n’est pas l’intégrité, mais l’intégrisme.
Nous pouvons avancer trois arguments en faveur d’une politique du compromis : théologique, éthique et économique.
Théologiquement, la politique ne relève pas des réalités dernières, mais avant-dernières, elle ne parle pas de salut, mais des règles du bien vivre ensemble. À partir du moment où on est dans le registre du relatif, on a le droit d’être nuancé et, pourquoi pas, de trouver quelques vertus à ses adversaires.
La porte de l’éthique se situe dans la relation au prochain et dans la place que nous laissons à celui qui est différent, qui ne pense pas pareil. Dans ce registre, on ne peut pas dire que les politiques donnent l’exemple. Le compromis commence par respecter les différences afin de chercher à les dépasser.
Enfin, dans le domaine de l’économie, une des conditions du dynamisme est la confiance que les différents acteurs se portent les uns aux autres. Ce qu’on appelle l’affectio societatis, qui est la volonté des personnes de s’associer pour une cause commune, est un critère de performance d’une société. Il est difficile de cultiver cette affectio lorsque les partenaires sociaux se complaisent dans l’opposition systématique, les invectives et les insultes.