Faut-il déboulonner les statues ? Du bon usage de la mémoire

Le premier poste que j’ai occupé en tant que pasteur était dans l’Église de Dijon. Le presbytère était le long d’une rue qui s’appelait Michel Servet, du nom de l’humaniste qui a été envoyé au bûcher à Genève avec l’approbation de Calvin.

Le deuxième poste que j’ai occupé était dans la ville de Valence et l’adresse du presbytère était rue Louvois qui était le ministre de Louis XIV qui a envoyé les dragons chez les protestants pour les faire abjurer.

Non seulement, il ne m’est pas venu à l’esprit d’être offensé par une telle adresse, mais il m’est arrivé de me souvenir à propos de Michel Servet de cette magnifique phrase de Castellion qui s’est opposé à Calvin : « Tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme. » Et à Valence, il m’est arrivé de faire mémoire des familles de mes ancêtres qui voyaient les dragons du roi débarquer chez eux avec tous les droits. Ayant une fille adolescente, je tremblais en imaginant ce que cela pouvait représenter.

Les noms des rues comme les statues ont pour objet de garder la mémoire de certaines personnes. La mémoire a ceci de particulier qu’elle doit toujours chercher le point d’équilibre entre le trop et le trop peu tant il est vrai que les deux maladies de la mémoire sont le défaut et l’excès. La mémoire est faite de souvenir et d’oubli, si nous sommes dans l’oubli total nous ne savons plus qui nous sommes (Alzheimer), mais si nous sommes dans la mémoire totale et que nous n’oublions rien, nous sommes menacés par la folie.

Le commandement de mémoire est très présent dans le Premier Testament – Tu te souviendras, tu diras à tes fils – il investit trois champs particuliers.

Tu te souviendras que tu as été émigré, avec comme conséquence le respect des étrangers.

Tu te souviendras Du Seigneur qui t’a libéré, avec comme conséquence les exigences de la liberté.

Tu te souviendras d’Amalec – la personnification de la haine gratuite – avec comme conséquence le devoir d’arrêter le mal.

Plutôt que de déboulonner les statues ou débaptiser les rues, il me paraît plus sage de trouver un juste usage de l’histoire pour qu’elle nous aide à ne pas nous tromper de combat et qu’elle nous apprenne à cultiver l’accueil, la liberté et la vigilance.