Dans un premier article, j’avais écrit qu’on ne peut pas apporter une réponse tranchée à la question de la relation de Dieu avec le mal, car les paroles de la Bible ne sont pas univoques. Je propose donc de multiplier les éclairages.
Avec Job, nous avons vu que la question de l’origine du mal n’était pas disponible à l’humain. Le message du livre est de savoir si Job est encore capable de s’émerveiller devant la création malgré le mal.
Le deuxième thème que je voudrais aborder est celui de l’exil.
Pour comprendre la problématique, il faut faire un détour par l’histoire. La grande promesse de Dieu aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob est : « Je vous donnerai une terre et une descendance. » Cette promesse s’est réalisée quelques siècles plus tard sous le règne du roi David. Le peuple a alors acquis son indépendance sur sa terre : il a un roi, une capitale, une armée qui se fait respecter, des frontières, et bientôt un temple pour rencontrer son Dieu.
Le règne du roi David correspond à un apogée de l’histoire, mais qui dit apogée dit commencement de la descente. La suite de l’histoire est une dégradation progressive. Le pays a connu une scission en deux royaumes, les rois ont rarement été fidèles, le temple est devenu un lieu de pouvoir religieux, les périodes de prospérité économique se sont accompagnées d’une augmentation des inégalités. Cette dégradation s’est soldée par la chute de Samarie en 722 sous les coups de l’empire assyrien, et celle de Jérusalem en 587 avant notre ère par le roi de Babylone. À la chute de Jérusalem, le peuple a perdu tout ce qu’il avait reçu : Il n’a plus de roi, plus de temple, plus de terre et il est envoyé en exil.
La Bible tient un double discours sur les rois étrangers qui ont été à l’origine de ces destructions.
À propos de la chute du royaume d’Israël, le livre d’Amos met dans la bouche de Dieu l’annonce que c’est le Seigneur qui envoie le roi d’Assyrie pour exiler le peuple à cause de ses injustices (Am 6.14). D’un autre côté le livre d’Ésaïe dit qu’il fera rendre des comptes au roi d’Assyrie pour son arrogance. (Es 10.12)
La même ambivalence se trouve dans les paroles sur Nabuchodonosor, le roi de Babylone qui a détruit Jérusalem. Jérémie l’appelle serviteur du Seigneur (Jr 25.9, 27.6) et le livre de Daniel annonce sa chute à cause de son orgueil. (Dn 2)
Comment pouvons-nous actualiser cette ambivalence ?
D’abord, affirmer que le mal est le mal, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus.
Ensuite, dire que la rencontre avec le mal peut être une occasion de recommencement. Dans l’histoire, l’exil à Babylone a été une occasion de reconfiguration religieuse autour du Livre. C’est chez les prophètes de l’exil que l’on trouve les passages les plus « christiques » du Premier Testament.
Un des chapitres du Premier Testament que je préfère est la lettre que Jérémie a envoyée aux exilés à Babylone pour leur dire : « Construisez des maisons, plantez des arbres et mariez vos enfants, car il y a une vie possible en exil. » (Jr 29)
Nous avons tous fait l’expérience d’épreuves qui nous ont fait grandir.
Christiane Singer a écrit : « La lutte contre le mal prend un tour décisif lorsqu’on prend conscience que même le mal contient quelque chose de divin. Une charnière se dissimule là, qui fait tout basculer. On n’échappe pas au mal seulement en le combattant, mais en reconnaissant pour le combattre la part de divin qui est en lui. »
Il ne s’agit pas de dire que Dieu nous envoie le mal pour qu’il en sorte du bien, mais de se poser la question suivante : Quelle nouvelle connaissance pouvons-nous acquérir dans notre traversée du mal ? En quoi allons-nous être changés ?